Appel à communicationLe terme de « transition » désigne le passage d’un état à un autre, voire le basculement d’un système entier d’un « régime d’équilibre dynamique » à un autre (Sanders, 2022 ; Boulanger, 2015). Malgré les moments difficiles que ce terme a connus, par exemple lors du constat de l’impasse des transition studies dans les années 1990 (Dufy, Thiriot, 2013 ; Rolland et al., 2017), il a eu un regain d’usage dans le débat public et dans la sphère scientifique dans les décennies suivantes (Coudroy de Lille et al., 2017). On parle ainsi par exemple de transitions agroécologiques, au pluriel, pour souligner à la fois le besoin d’adaptation des solutions aux socioécosystèmes localisés, mais aussi l’humilité nouvelle de la recherche agronomique dans le codesign de ces solutions. Le pluriel s’impose pour décrire la diversité des processus de transition écologique (Loudiyi et al., 2022). On parle également de « transition énergétique » pour désigner le passage d’un mode de production et de consommation d’énergies fossiles à un mode privilégiant les énergies renouvelables, même si l’application de cette notion à l’histoire énergétique fait l’objet de fortes critiques (Aykut et Evrard, 2017 ; Fressoz, 2024). On notera toutefois que cette déclinaison thématique ou sectorielle est assez peu attentive à la question du local. De même, l’engouement pour les sustainable transition studies laisse place au doute, en raison de sa « naïveté spatiale » (Hansen, Coenen 2015 ; Banos et al., 2023). On reproche aussi parfois à la « transition » les glissements qu’elle permet entre registre normatif et descriptif, même si cet alliage peut aussi permettre un positionnement à l’interface entre démarche scientifique et demande publique. Depuis le début de la décennie 2020, la notion de « transition territoriale » se répand dans un contexte de forte demande d’accompagnement académique de la part de différents acteurs territoriaux. Alexis Gonin (2021) en donne une définition claire : « La transition territoriale est le changement systémique à l’échelle d’un territoire, qui modifie en profondeur les modes d’habiter, les systèmes productifs, et les relations au milieu d’un collectif d’acteurs engagés dans un projet commun ». Pour autant, le socle théorique n’est pas encore stable et robuste. S’agit-il d’un simple objet transactionnel entre recherche scientifique et sphères de l’action publique territoriale ? De l’instrument d’une requalification de l’ingénierie ? D’un mot-valise sans fondement scientifique ? Ou d’un front de recherche porteur, dans un monde marqué par les incertitudes ? L’objectif de ce colloque est d’interroger, dans une perspective pluridisciplinaire, cette notion de « transition territoriale » – sa pertinence, ses utilisations et traductions, ses pistes de consolidation théorique ainsi que sa portée heuristique et transformatrice – dans un contexte de crises multiples, de fortes tensions sociopolitiques et géopolitiques et d’incertitudes sur le devenir des systèmes territoriaux. Comment penser, étudier, voire accompagner les transitions des territoires en contexte d’incertitudes et de tensions ? Le terme de « transition » territoriale oriente la réflexion vers une large palette de pensées du changement, allant des théories de la rupture à celles de la continuité ou du dépassement. Dans le spectre des transitions, on peut identifier plusieurs orientations : (i) une première vers l’idée de transitions douces et graduelles, même si l’image des transitions de phase entre les états (solide, liquide, gazeux) de la matière peut aussi évoquer des changements plus abrupts ; (ii) une deuxième pensée davantage axée sur la trajectoire et la dépendance au sentier plutôt qu’en termes relationnels ; (iii) troisièmement, une conception processuelle du changement, dans laquelle la transition se confond avec une adaptation ou une anticipation des fluctuations, sans horizon de stabilisation proche. Quant à l’adjectif « territoriale », il fait davantage que spécifier le type de transition dont on parle : il est porteur d’un présupposé systémique, voire intégrateur, du concept de transition. En cela, il invite (i) à interroger, aux échelles locale et meso, l’articulation ou la confrontation de processus multiples de transition, et (ii) à considérer l’interaction entre les intentionnalités des acteurs et la transformation d’un espace (Raffestin, 1984) dans toutes ses composantes (démographiques, environnementales, économiques, institutionnelles, ...). Enfin, le pluriel – « transitions territoriales » – incite à la réflexion sur la diversité, les différences, voire les divergences des situations et des processus, dans le temps et dans l’espace géographique, ouvrant sur une critique des concepts d’upscaling ou de transférabilité.
Questionnements et axes thématiquesSeront particulièrement appréciées les propositions de communication et d’ateliers ou tables rondes abordant l’une des thématiques suivantes, à travers une contribution théorique, une analyse thématique, ou une étude de cas - au singulier ou au pluriel. Le colloque accueillera très volontiers des propositions issues de contextes étrangers en Europe, invitant à décentrer nos regards. Les communications croisant les thématiques du colloque sont bien sûr bienvenues.
Axe 1 – Les savoirs des transitions territoriales en tension1.1. Production et circulation des savoirsLes communications pourront traiter de la question de la circulation des savoirs entre sphère académique et non-académique mais aussi entre différents espaces européens. Quels apports et quels garde-fous les débats scientifiques des dernières décennies sur les transitions (politiques, économiques, socio-écologiques, justes, soutenables...) offrent-ils à l’analyse des transitions territoriales (Dobry, 2000 ; Dufy, Thiriot, 2013) ? En particulier, qu’apporte la récente production scientifique sur les transitions écologiques pour la recherche sur les transitions territoriales (Pasquier, Lepage, 2024 ; Debizet et al., 2024 ; Banos et al., 2025) ? Quelle place ces travaux accordent-ils aux situations vives de crises et de tensions, susceptibles d’éclairer le dialogue sciences-société ? Par ailleurs, que nous dit la difficile traduction de la notion de transition territoriale dans des langues étrangères sur les façons dont les changements systémiques qu’elles désignent sont pensés et nommés dans d’autres contextes nationaux, culturels et institutionnels ? Plus largement, en quoi les tensions et incertitudes du temps présent produisent-elles une remise en cause des hiérarchies et rapports entre types de savoirs – savants, ingénieriques, expérienciels... ?
1.2. Des postures mises à l’épreuve : recherche, recherche-action, expertise, etc.Comment nos pratiques et postures de recherche sur les trajectoires de transitions territoriales intègrent-elles les défiances vis-à-vis de l'expertise, voire de la référence aux sciences et aux techniques ? Les oppositions que peuvent rencontrer des agents publics chargés, en s’appuyant sur une expertise scientifique, de veiller au respect de politiques de transition dans les territoires ruraux (Magnin, Rouméas et Basier, 2024) ont-elles des répercussions dans l’accueil qui y est réservé aux chercheurs, et si oui lesquelles ? Plus largement, comment nos postures de recherche sont-elles mises à l’épreuve de la montée des courants hostiles aux transitions vers la durabilité (Dechezelles, 2023 ; Rui, Bouzin et Samson, 2023 ; Auvet, Chailleux et Desvallées, 2024 ; Beveridge et al., 2024 ; Radtke et Beer, 2024) ? L’orientation privilégiée des sciences de la durabilité vers les échelles locale et méso (Clark et Harley, 2020) pour construire des connaissances robustes et actionnable est-elle validée, et à quelles conditions ?
1.3 : Justice, inclusivité et démocratie. Quels publics se constituent autour des démarches de transitions territoriales ? Les tensions générées par le changement global suscitent un dilemme quant aux alliances à nouer ou non pour implémenter les transitions territoriales : parties prenantes, habitants, existants non-humains, acteurs socioéconomiques et institutionnels peuvent tous prétendre à un accès aux « communs de connaissance » produits ou coproduits par la recherche. Living labs et observatoires aux statuts variés sont porteurs d’expériences riches, parfois critiquées quant à la distribution des rôles qui s’y produit entre chercheurs, « citoyens » et entrepreneurs (Amand et al., 2020), mais encore imparfaitement connues et comparées dans leurs impacts (Berriet-Solliec et al., 2023). Les communications proposant un retour critique sur l’implication de la recherche dans des scènes d’acteurs seront donc examinées avec un intérêt particulier. Si mener les transitions dans les territoires implique des démarches d’enquêtes (au sens de J. Dewey), dont les participants peuvent se recruter loin au-delà du périmètre des professions de la recherche, le degré d’ouverture du cercle des enquêteurs ne va pas de soi. Comment les expérimentations de transitions territoriales (Villalba et Melin, 2022), avec ce qu’elles impliquent de production de savoirs et d’orientations, s’articulent-elles plus ou moins heureusement selon les cas avec des visées de justice, d’inclusivité et de démocratie (Hatt et Bonnin-Oliveira, 2024) ?
Axe 2 – Action publique et transitions territoriales par « gros temps »2.1. Changer de paradigme ?Dans le monde académique comme dans la sphère de l'action publique, la remise en question du paradigme développementaliste des politiques territoriales se fait au profit d’approches de l’action publique territoriale[1] centrées sur l’habitabilité, le bien-être des populations ou l’adaptation à des dynamiques de déprise (Bouba-Olga, Grossetti, 2018 ; Koop, 2021 ; Bourdeau-Lepage et Pasquier, 2024 ; Miot, 2021) et prend des formes diverses selon les territoires (Rieutort, 2023). Cette inflexion, accélérée par la crise pandémique et par la conscience de plus en plus vive de l’urgence climatique, invite à interroger ses ressorts et ses résistances, en analysant l’évolution des configurations d’acteurs, des modes de gouvernance à l’œuvre au niveau local et régional, et des récits qui accompagnent les transitions territoriales. Les contextes d’incertitudes sont propices à la valorisation de la sobriété dans les politiques de transition territoriale – sobriété foncière (Charmes, 2025), énergétique (Villalba et Semal, 2018), ou mobilitaire (Flipo et al., 2022 ; Nicolas et al., 2025). Ils invitent aussi à repenser les relations au vivant, à la matérialité et aux services et infrastructures, en termes de soin et de maintenance (Ringel, 2021 ; Denis, Pontille, 2022 ; Lussault, 2024 ; Florentin, 2024 ; Florentin et al., 2024). On voudrait ici s’intéresser à des cas territorialisés de transition vers la sobriété émanant de ou engageant des politiques publiques, par exemple dans les territoires de projets. Quelles sont leurs conditions de réussite, les difficultés qu’ils rencontrent et les limites auxquelles ils se heurtent ? Quelles pistes d’action et de redirection émergent, en particulier dans les pratiques d’aménagement et la planification urbaine ? 2.2. Adaptations anticipatives et trajectoires de transition post-catastropheLes transitions territoriales peuvent comporter un volet anticipateur sous forme de politiques d’adaptation au changement climatique. Au milieu des années 2010, les recherches portant sur ces politiques notaient plutôt leur faiblesse en France par rapport à des politiques d’atténuation elles-mêmes encore très inchoatives (Bertrand et Richard, 2015). Depuis, le renforcement d’outils de politiques publiques territoriales en matière de climat a davantage ancré cette thématique à cette échelle de gouvernance, même si de fortes disparités selon les territoires ressortent (Arnauld de Sartre et al., 2021), les temporalités politiques locales ayant tendance à l’emporter sur celles de l’action climatique (Aulagnier, Compagnon et Smith, 2023). On pourra aborder ici la question des pratiques d’adaptation climatique à différentes échelles territoriales, et sans se centrer exclusivement sur les acteurs publics, d’autres types d’acteurs étant également susceptibles d’agir sur les territoires en fonction de projections climatiques. Comment la dimension projective de l’adaptation au changement climatique s’articule-t-elle avec différents attachements au territoire (Centemeri, Borja et Gaudin, 2016) et avec une participation active des citoyens ? Enfin, le terme de transition est plutôt profilé pour décrire des changements graduels ; néanmoins, ceux-ci peuvent survenir à la suite de changements abrupts ou catastrophiques, qu’il s’agisse d’accidents industriels, de chocs géopolitiques, de traces laissées par des affrontements militaires ou de catastrophes naturelles (feux, inondations, etc.). On pourra étudier comment les jeux d’acteurs sont reconfigurés par ces ruptures et la façon dont se négocient des transitions vers une « réhabitabilité » (éventuellement amoindrie ou altérée) dans des territoires catastrophés (Centemeri, 2011 et 2024), délaissés ou abandonnés (Sowa, 2018 ; Le Gallou, 2021 ; Béal et al., 2024) ou marqués par le soupçon de pollutions persistantes (Gramaglia, 2023). Dans cet axe 2, les entrées par les situations de vulnérabilités ou de conflictualités, qu'elles soient considérées comme révélatrices de zones d’ombre de l’action publique territoriale ou comme initiatrices de nouveaux processus de transition, seront considérées avec une attention particulière.
Les propositions de communication incluront :
Elles seront déposées sur la plateforme du colloque avant le 1er juillet 2025 : https://transiter.sciencesconf.org/ Le colloque se déroulera à la Maison des Sciences Humaines de Clermont-Ferrand et à l’Institut d’Auvergne de Développement des Territoires.
Comité scientifique
Références bibliographiques
Amand, Rudy, Michelle Dobré, Dany Lapostolle, Frédérick Lemarchand, et Esdras Ngounou Takam. 2020. « Faire de la recherche collaborative : quelle sociologie dans le cadre d’un living lab ? » SociologieS. doi:10.4000/sociologies.15342. Arnauld de Sartre, Xavier, Vincent Baggioni, et Christine Bouisset. 2021. « Dossier « Politiques locales de l’énergie : un renouveau sous contraintes » – Potentialité et réalisations des politiques climatiques locales : vers l’institutionnalisation des plans climat territoriaux dans les villes moyennes françaises ». Natures Sciences Sociétés 29(1): 23‑35. doi:10.1051/nss/2021028. Aulagnier, Alexis, Daniel Compagnon, et Andy Smith. 2023. « Dossier : « La recherche au défi de la crise des temporalités » : Urgence climatique et temporalités locales : la territorialisation contrariée des politiques de lutte contre le changement climatique ». Natures Sciences Sociétés 31(4): 490‑501. doi:10.1051/nss/2024012. Auvet, Brice, Sébastien Chailleux, et Lise Desvallées. 2024. « La modernité écologique à l’épreuve des héritages des modernités précédentes : oppositions conservatrices à des projets de transition énergétique ». Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie (Vol. 15, n°3). doi:10.4000/13cqi. Aykut, Stefan C., et Aurélien Evrard. 2017. « Une transition pour que rien ne change ? Changement institutionnel et dépendance au sentier dans les « transitions énergétiques » en Allemagne et en France ». Revue internationale de politique comparée 24(1): 17‑49. doi:10.3917/ripc.241.0017. Banos, Vincent, Sabine Girard, Marie Houdart, et Salma Loudiyi. 2023. « Pour une géographie des transitions territoriales ? Cadres conceptuels, défis méthodologiques et regards critiques ». Géocarrefour. https://journals.openedition.org/geocarrefour/21626 Banos, Vincent, Sabine Girard, Marie Houdart, et Salma Loudiyi (dir.) 2024. Dossier « Territoires & Transitions socio-écologiques : dialogue fécond, parcours inachevé ou voie sans issue ? » Géocarrefour 98(3‑4). doi:10.4000/13tpm. Béal, Vincent, Renaud Epstein, Thomas Kirszbaum, et Max Rousseau. 2024. « Politiques des territoires délaissés ». Mouvements : des idées et des luttes 2024/3(118): 160. Berriet-Solliec, Marielle, Dany Lapostolle, Gaëtan Mangin, et Alex Roy. 2023. « Pour une approche sociale, écologique et économique des transitions territoriales : expériences transdisciplinaires au sein d’un Living lab ». Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie (Vol.14, n°1). doi:10.4000/developpementdurable.22260. Bertrand, François, et Elsa Richard. 2015. « La délicate existence locale de l’adaptation aux changements climatiques : avec, sans, ou à côté de l’atténuation ». Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie (Vol. 6, n°3). doi:10.4000/developpementdurable.11048. [1] L’action publique territoriale est entendue ici comme l’ensemble des politiques, décisions et interventions conduites par les collectivités territoriales ou en collaboration avec elles, pour répondre aux besoins de la population et gérer les enjeux locaux (aménagement, environnement, mobilité, développement économique, services publics, etc.). Ancrée dans un territoire donné, cette forme d’action publique mobilise à la fois des institutions locales (élus, administrations territoriales, agences, etc.), des dispositifs de planification ou de financement, et des partenariats avec d’autres acteurs publics, privés ou associatifs.
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